jeudi 22 juin 2017

Prix de la critique des Lycées 2017

Le troisième Prix de la Critique 2017 a été attribué à Ariane Merland, élève de Seconde du Lycée Richelieu pour un texte inspiré de Quelqu'un qu'on aime de Séverine Vidal (Sarbacane, 2015).


C’était la fin. Je le savais. Je le sentais. Je venais de tomber à terre. J’avais toujours ce papier entre les mains. La dernière feuille. La touche finale, celle qui donne une raison à tout ce qui précède. Il fallait la lâcher maintenant. Qu’elle aille rejoindre les autres dans le désert. Je trouvais la force de lever mon bras, sentant le vent chaud qui coure sur le sable, et lâchai prise. Je me laissai enfin tomber, fermant les yeux pour la dernière fois avec cette vision, la feuille qui s’en allait, loin, au gré des tourbillons du désert. Au revoir Old Gary.
Susan s’était bien dit que c’était bizarre, ces pages manquantes dans le carnet. Gary l’avait laissé. Gary était parti, abandonnant sa mémoire, la laissant derrière lui, elle n’était maintenant plus que des mots sur du papier. Susan avait attendu trois jours pour ouvrir le carnet, en quête d’un indice qui pourrait bien les mener au disparu. En feuilletant les pages, en entrant dans la mémoire désordonnée du vieil homme, elle avait remarqué que les notes s’arrêtaient brusquement, après une pensée qu’il avait écrite : « Je vais mourir. Finalement, ça ne fait pas si peur. Je verrai enfin ce qu’il y a de l’autre côté. » Toutes les pages d’après avaient été arrachées. Elle s’était bien demandé la raison de leur disparition. Des souvenirs douloureux ? Pas assez détaillés ? Inutiles ? Ce n’est que lorsque les policiers les avaient convoqués, elle, Matt, Antonia et Luke, pour leur annoncer que Gary avait été
retrouvé, qu’elle avait fait le lien. Les policiers leur avaient d’abord annoncé la nouvelle, celle qu’ils attendaient tous, mais qui leur avait tout de même causé un choc. Gary était mort. Un grand silence avait suivi cette annonce. Mais personne n’avait pleuré. Ils le savaient au fond. Et ils avaient déjà assez versé de larmes. Le capitaine de police leur avait raconté la manière étrange dont ils avaient trouvé le corps. C’était à ce moment-là que Susan avait compris ce qu’étaient devenues les dernières pages.
« L’un de nos gars a trouvé un papier. Quand il a levé les yeux, il en a vu un plus loin, à une dizaine de mètres, qui se promenait sur le sable, il a réussi à l’attraper avant que le vent ne l’emporte. On a suivi les feuilles vers le Nord, elles avaient peu bougé par chance. La chaleur du désert du Nevada ne laisse pas passer le vent très longtemps. Ça nous a menés au corps. On a réuni les pages et essayé de les mettre en ordre. Tenez, si vous les voulez. »
Ils étaient repartis avec un petit paquet de feuilles et avaient attendu d’être assis, tranquillement dans le salon de Susan pour les lire.
« Je vais marcher quelques temps. Jusqu’à ce que mes derniers souvenirs s’estompent. Je veux tous les revoir, comme si je tournais les pages d’un livre.»
Ils lisaient à haute voix, chacun une page, à tour de rôle.
« J’ai de la chance. Toutes les images qui me reviennent sont joyeuses. Même quand j’ai filé cette mandale à ce vieux raciste de Boon, c’était plutôt comique finalement, époustouflant aurait pu dire Antonella. »
Chacun souriait en entendant les mots griffonnés par Gary à la va- vite, en même temps que sa pensée filait.
« Qu’est-ce que je voulais écrire déjà ? Tiens, ça me fait penser, j’ai bien fait de partir. Qu’est-ce que je serais devenu ? »
La feuille suivante répondait à la précédente : « Un vrai poids pour les autres. Je ne sais toujours pas ce que je voulais écrire. C’est infernal cette impression de vide. »
Les visages de la petite équipe passaient du sourire à la tristesse en quelques secondes.
« Ça y est, j’ai retrouvé ce que je voulais dire. Antonia, enfin, Antonella, c’était une super fille. Toujours joyeuse, toujours souriante. Sans elle, ce voyage ça aurait été moins époustouflant. »
Quand Antonia lut ces mots, sa voix trembla. Sans Gary, il n’y aurait même pas eu de voyage, se disait-elle.
« Tout à l’heure, quand j’ai dépassé la dune, le sable qui s’élevait avec le vent m’a fait penser aux cheveux désordonnés de Luke. Un drôle de personnage ce garçon. Fuir ses parents et s’embarquer à bord d’une voiture inconnue, accompagné de gens qui entourent un vieillard perdant la boule. Un drôle de personnage. »
Luke esquissa un sourire triste, plein de nostalgie, repensant à la spontanéité du vieillard, à ses nuits avec lui dans les chambres des motels. Comme le vieux perdant la boule l’avait rassuré.
« On est tous des drôles de personnages finalement.»
Tout le monde avait ri en entendant Susan prononcer les mots écrits par le vieil homme.
« Je voulais numéroter les pages, si jamais on les retrouve, peut-être qu’ils voudront les mettre en ordre. Le problème, c’est que j’ai oublié où j’en étais depuis bien longtemps. »
Eux-mêmes ne savaient pas combien de papiers ils avaient lu. Mais la vue du tas qui diminuait leur donnait l’impression que Gary s’en allait, petit à petit, une seconde fois.
« Ma petite Susan me manque. C’est extraordinaire que je l’aie retrouvée. Ce goût de mûre sauvage sur ses lèvres ne me quittera jamais. »
Elle non plus n’oublierait pas son Gary. Chaque moment qu’elle avait passé avec lui resterait en elle à jamais.
« Matt est un beau garçon. Son assurance et son calme m’ont impressionné pendant le voyage. Il saura bien s’occuper de la petite. Amber. Elle me fait tellement penser à ma DeeDee. »
Matt laissa une larme couler en lisant la petite feuille. Old Gary aurait été un super arrière-grand-père pour Amber. Il
l’avait été.
« Je sens que c’est l’heure de partir. Dommage. Si j’avais eu un peu plus de temps, et un peu plus d’esprit, j’aurai raconté tout ça, cette tournée de 58 moderne, avec la fin du Boon, ce voyage rocambolesque. Ça aurait été un beau livre parce qu’il aurait contenu une belle histoire. J’aurai raconté Antonella, Luke, Matt, Amber et Old Gary, les aventures et les fous-rires, les souvenirs.

Pour ne jamais oublier. »

Arianne Merland

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