lundi 20 avril 2015

Prix des lycéens - 3ème Prix

Troisième Prix attribué à Candice Rocher (élève de Seconde, Lycée Passy Buzenval) pour son écrit inspiré de La Petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon (Actes Sud, 2013).


On peut encore sentir l'odeur des ciorbas dans la maison laissée dans le sillage des derniers occupants ; ces soupes au poulet et à la pomme de terre dont les roumains raffolent. Pourtant l'odeur ne semble pas déranger le couple d'acheteurs américains qui paraissent ravis de leur nouvelle demeure. Certes pas immense mais suffisante pour eux deux. Les fenêtres sont petites, étriquées et se semblent pas vouloir laisser la lumière rentrer, tandis que les pièces sont larges mais séparées par de grandes et hautes cloisons au papier peint ancien qui se décolle de part et d'autre du mur et que l'agent immobilier ne semble pas avoir voulu cacher. Mais en vérité c'est le prix qui séduisit les acheteurs. On raconte que son dernier occupant fut Béla Károlyi, l’entraîneur de la célèbre Mary Lou Retton et d'une certaine Nadia quelque chose qu'il entraîna en Roumanie auparavant. Mais aucun des deux ne pouvait connaître Nadia, ils n'étaient même pas nés lorsqu'elle remporta les JO de Montréal. Et bien ce Béla n'avait plus assez pour payer ses dettes et sa maison fut saisie, et donc revendue bien bas par la banque. Impatiente de s'installer, la jeune femme se précipite à l'étage avec le carton "salle de bain" qui regroupe les indispensables d'une salle d'eau qu'elle avait jugé important de garder : les serviettes, les produits de beauté, les médicaments, les gels douche, sèche-cheveux et shampoings ... Elle tire le tiroir bleu pastel à droite de la large vasque et aperçoit un minuscule carnet bordeaux à spirales qui traîne et qui semble ne pas avoir bougé depuis longtemps ; il en avait laissé la trace de poussière au fond du tiroir. On peut lire sur la petite couverture, comme gravé avec une épaisse aiguille, "A Nadia" sous le ruban rouge sang qui le gardait. La jeune femme recule d'abord comme si elle était en face d'un trésor inestimé, comme si cela lui apporterait gloire et fortune quittant ainsi enfin cette vie pauvre et anonyme que son mari lui avait offerte. Elle pose son carton contre la petite baignoire fissurée et attrape le minuscule carnet, il lui paraissait plus léger à regarder qu'à porter. Certaines pages jaunies par le temps s'étaient détachées du squelette du carnet pour venir respirer l'air capitaliste du sol américain. La jeune femme aperçut quelques mots mais comprit vite que ce n'était pas de sa langue, pas de son ressort. Elle ressent une certaine tristesse, une certaine déception semblable à celle qu'on éprouve lorsqu'une bulle de chewing-gum ne gonfle pas ou lorsqu’après maintes et maintes reprises, le trou qu'on tenta de colmater sur ce magnifique jean se reforma et devint encore plus gros. Ce carnet avait piquée au plus profond sa curiosité avec seulement ces deux mots écrits en anglais "A Nadia" et ses pages jaunies, et rien ne pourrait la rassasier plus que de lire et comprendre ces écrits. Elle range alors ce petit carnet qui semble détenir pleins de secrets dans sa poche de jean gauche et redescend. Elle recherche dans les jours suivants la langue potentielle de ce carnet sur internet, puis déniche un traducteur habitant à 46km de chez elle. Elle envoie le petit carnet rouge communiste au traducteur par une lettre recommandée en lui proposant 300$ pour la traduction complète et totale de cet ouvrage si particulier en insistant sur sa discrétion. Il lui revient, 1 mois plus tard, un manuscrit peu épais, une vingtaine de page peut-être tapées à la machine à écrire - quoi ces choses-là existent-elles encore ? - ainsi que du petit carnet bordeaux. Elle profite d'un moment ou son mari travaille pour enfin satisfaire la curiosité qui l'obligea à dépenser 300$ pour une simple traduction. Honnêtement, c'était presque comme si cette histoire de carnet lui était sortie de la tête et elle se dit qu'elle devait être un des seuls travaux de ce traducteur. C'est vrai, qui chercherait un traducteur roumain ? Le manuscrit n'était accompagné de rien d'autre, pas de facture, ou de post-it indiquant quoi que ce soit à propos du carnet ; juste des pages. Le ruban rouge qui scella autrefois le carnet avait était coupé, ou plutôt arraché avec un objet qui ne devait pas être prévu à cet effet.

"1981
Nadia, je ne sais pas si tu liras ces lignes mais je l'espère. Je suis parti, je t'ai laissé et j'espère que tu comprendras, me pardonneras. T'es grande maintenant, tu peux le faire sans moi et puis je te suivrai de loin Nadia, il n'y a pas besoin d'être près pour observer. Regarde la Lune, le monde entier la voit sans jamais la toucher. Viens ici si tu peux. Ici tout est mieux, sauf les gymnastes. Je pense que je peux en trouver des bonnes qui deviendront meilleures mais elles ne seront jamais excellentes et on ne peut pas leur en vouloir ? Je crois que non. Comme on dit ici : "goodbye!".

1989
Nadia, j'ai souvent pensé à t'écrire mais je n'ai jamais su quoi dire. A chaque fois je m'asseyais devant une table avec un stylo mais je ne sais pas, je ne suis pas un homme de lettres hein. Et puis j'avais peur que tu m'en veuilles pour avoir entraîné Mary Lou. Elle est excellente mais tu sais les gens ne se souviendront que de toi et tes rubans rouges communistes. Parfois je me dis que si tu n'avais pas été roumaine, ça aurait été différent. Peut-être que si tu avais été française ou italienne, ça n'aurait pas été pareil. Tu n'aurais pas travaillé pareil et puis tu avais un goût de nouveauté que tu apportais partout avec tes rubans. Mais bon, on ne saura jamais. J'ai entendu que t'avais fui la Roumanie. J’sais pas encore si je suis heureux ou effrayé pour toi. La Sécuritate va vouloir te récupérer non ? Toi l'enfant prodigue, ils vont prendre qui maintenant pour promouvoir leurs prisons dans lesquelles ils nous enferment ? Tu ne pouvais pas savoir t'avais ... Enfin, t'étais trop jeune, tu ne pouvais pas comprendre. Attend je crois que je n'ai plus d'encre tu sais là ... "

Ici le traducteur avait laissé une note disant que les mots venus après étaient simplement une faible trace du stylo dans le papier qui restait et demeurerait illisible. La demoiselle se demande, après ces quelques lignes si elles n'étaient rien d'autre que des brouillons de lettres que ce vieil homme à moustache avait écrits lors d'après-midi bien arrosés. Les feuilles étaient écrites par ordre chronologique et toujours datées d'une année ; pas de jour, ni d’événement, juste des années. Pleins d'années il n'écrivit rien d'autre, il ne faisait que raconter son épanouissement ici, en Amérique et à quel point il espérait qu'elle irait bien. Rien ne satisfaisait la curiosité qu'avait éprouvée la jeune épouse et la joie ressentie quand enfin elle allait donner un peu d'aventure à sa pauvre vie. Puis elle lut une page intéressante.

"2013
Nadia, j'ai lu un livre, d'une française tu sais un avec une couverture rouge et ton portrait dessus. J'ai commencé à le feuilleter au magasin et j'ai vu que vous vous parliez avec l'auteur alors j'ai l'ai acheté puisque c'était un peu comme une semi-autobiographie, puisqu'elle écrivait ce que tu racontais puis tu approuvais. Mais elle racontait pleins de trucs faux, y'avait des trucs vrais oui mais pleins de trucs faux. Au départ j'étais un peu énervé je comprenais pas pourquoi tu mentais à propos de ton histoire, de notre travail et de comment je t'entraînais. Et après j'ai compris que c'était "fictionnel" comme ils disent ici. Moi, j'appelle ça un mensonge. Elle ne te connait même pas et elle se permet de t'inventer une vie, à toi, la "petite communiste qui ne souriait jamais". J'en ai discuté avec Marta. Elle, elle pense que c'est bien que quelqu'un qui ne te connais pas imagine ce que tu as pu traverser ; "une personne qui ne te connaît pas n'est pas influencée" dit-elle. Moi ce qui me dérange c'est que cela soit une capitaliste, une femme qui n'a jamais connue notre mode de vie, qui retrace ce qu'on a vécu ensemble. Elle a jamais vraiment su ce que c'était et elle romance tout ça pour le grand public ; juste pour de l'argent !! Marta dit que je devrais arrêter de m'énerver inutilement avec mon cœur malade. Mais je ne sais pas, moi ça ne me plaît pas. Je ne sais pas si tu l'as lu, ni si tu devrais. Elle réécrit l'histoire et je ne veux pas que les gens pensent que c'est ça la vérité. Je ne veux pas qu'ils pensent que la Sécuritate ne nous donnait que quelques agents pour nous surveiller lors des déplacements à l'étranger. Ou que nos entraînements n'étaient jamais surveillés. En fait, je ne veux pas que les gens connaissent la vérité mais je ne veux pas qu'ils croient un mensonge. Marta elle, elle aime que quelqu'un raconte ça puisque pour elle, il vaut mieux une vérité un peu déformée que le mensonge dans lequel on vivait. Et puis elle trouve que dans cette échange, cette "correspondance" entre toi et l'auteure tu parais mature, aimable et reconnaissante alors que je trouve moi que t'as plutôt l'air d'une communiste hautaine qui n'a jamais compris qu'elle était utilisée ou du moins pas totalement. Et puis ce nom "qui ne souriait jamais" on ne t'a jamais payé pour sourire. On n'a jamais donné des médailles aux gens qui sourient. Les sourires c'est juste des façades pour les perdants et heureusement que tu ne souriais jamais parce que tu étais trop occupée à gagner. Mais je pense que si je ne t'avais pas connu ce livre aurait été bien, j'y aurais cru et c'est ça le problème. Les gens vont pas être capables de différencier la vraie histoire du roman. Enfin voila je ne sais pas quoi trop en penser. Enfin je sais juste que ça ne m'a pas trop plu. Je pense que tu devrais le lire en fait, mais j'ai peur qu'un jour si tu es vieille et malade, et que ta mémoire te fait défaut, ça soit ce livre qui soit ta mémoire, tes souvenirs alors que ce n'est pas la réalité. Déjà que le monde entier va se souvenir de TA vie écrite par cette française, il ne faut pas en plus que tu tombes dedans. Garde tes souvenirs, personne ne peut te les enlever. Enfin voila, désolé de ne pas t'écrire. Je n'achète jamais de papier à lettre et tout ce que j'ai de Roumanie c'est ce petit carnet, alors quand j'aurais fini toutes les pages, je te l'enverrai, peu importe où tu habites : en Amérique, en France ou en Roumanie. Je te l'enverrai, tu le liras et on se reverra. Je sais que je devrais t'envoyer tout au fur et à mesure mais je n'ai jamais été comme ça, tu te souviens. On travaille d'abord jusqu’à la perfection et ensuite on dévoile sa figure. Je sais ce que tu vas dire "pourquoi tu compares une figure de gymnastique à des lettres ?" mais non je ne suis pas comme ça. J'espère que tu vas bien Nadia."

Il avait dû oublier d'envoyer son carnet. Probablement.

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