lundi 20 avril 2015

Prix des lycéens - 2ème Prix

Deuxième Prix attribué à Nina Dagallier (élève de Seconde, Lycée Gustave Eiffel) pour son écrit inspiré de La Petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon (Actes Sud, 2013).


« Debout ! » La lumière aveuglante du jour accompagnée du caractéristique crissement funeste des rideaux me tire brusquement de mon sommeil. Alors que je me lève, les dernières images de mon rêve s’estompent : au bout de quelques instants, je n’en ai plus aucun souvenir. Pourtant j’ai vraiment l’impression d’avoir fait un rêve étrange… Plus j’y réfléchis, plus des bribes de souvenir me reviennent à l’esprit…
Je me souviens d’une créature qui virevolte dans les airs, avec une grâce inouïe. Cette créature, c’est une petite fille avec des rubans, je la vois, narguant Newton, elle semble me faire un clin d’œil lorsqu’elle s’élance une dernière fois de sa barre. Les juges sont éblouis, moi aussi. Cette fillette m’inspire et m’émerveille. Elle me donne envie de la suivre, d’apprendre à la connaitre, elle qui a su me captiver.
Le décor change. L’époque aussi, je crois. On s’y perd un peu. J’entends une voix qui résonne et qui m’explique ce qui se passe devant moi. Les silhouettes floues commencent à se préciser. Face à ce spectacle, j’ai un pincement au cœur, de les voir si jeunes, si fragiles, si frêles, tomber sans cesse, sous les reproches de leur entraîneur. Même si elles ont l’air heureuses, la joie du début semble s’être envolée, la magie a définitivement disparu. Vus de plus près, les corps décharnés, bien que musclés, me mettent mal à l’aise. Pourtant, je me sens incapable de partir, fascinée, je me rapproche. Elle est là, « telle un pinceau sur une toile », elle me fait rêver. Oui, je suis émue. De joie ou de tristesse, sûrement un peu des deux.
Je marche dans une rue. Je me concentre, c’est une ville toute grise, sombre et triste. Je ne comprends pas vraiment où je suis, ni à quelle époque : les rêves ne sont pas réputés pour leur chronologie parfaite… Quelque chose m’impressionne : c’est cette voix qui reprend. Je me vois approcher d’une vitrine : je la reconnais ! Sur l’affiche, c’est la fillette aux rubans ! Je suis comme frappée d’horreur. La voix me fait comprendre que cet ange, cette « Nadia », porte malgré elle sur ses frêles épaules le rôle d’ambassadrice de la réussite du Communisme. Protégée de la Patrie du Camarade, elle est devenue une idole mondiale, une muse de carte postale. Derrière moi, deux femmes parlent : ce que j’entends me bouleverse. Les étalages vides du marché, les visites de contrôle des naissances mensuelles, les scènes de carnage dans les cuisines, tout cela m’effraie. Je prends conscience de la misère qui m’entoure et de la chance que j’ai de ne pas avoir connu cela. Je n’ose garder plus longtemps la carte postale, je la repose soigneusement. J’ai envie de partir mais quelque chose me retient.
Encore un autre décor. Je suis au chevet de Nadia. Allongée sur son lit, les cotes saillantes, les articulations meurtries, le regard sombre, elle me fait peur. Elle se lève brusquement et commence à faire des pompes, des larmes coulent sur ses joues. Je me sens étrangère à ce supplice, seule la voix semble partager ma position. On dirait qu’elle tente elle aussi de saisir un instant la complexité de ce personnage. Je comprends, littéralement, le revers de la médaille. Elle sacrifie son corps pour le succès de la Roumanie. Elle a mon âge.
J’appuie mes mains sur mes yeux. Plusieurs années se sont écoulées. Je concentre mes efforts pour tenter de rattraper les dernières images de mon rêve. Je suis assise, sur un siège, bleu, un siège d’avion. Je regarde par le hublot, un océan s’étend à perte de vue. Ma voisine se retourne, c’est Nadia Comaneci. Mais ce n’est plus celle que je connaissais. Bien qu’elle soit encore assez jeune, elle a les traits tirés d’une personne exténuée, elle a pris du poids. Plonger les yeux dans son regard suffit pour s’apercevoir qu’elle est détruite. Je me sens impuissante et désolée devant cette fille à la vie ravagée. La magie n’est plus, je n’ai plus envie de la suivre. Peut-être faut-il quelquefois ne pas voir les coulisses pour pouvoir apprécier le spectacle… Mais tout-à-coup, elle commence à me parler. Non, ce n’est pas à moi qu’elle s’adresse mais à la voix. Elle l’appelle... Lola ! Oui, Lola, c’est ça. Je me souviens, Nadia lui raconte la fin de sa sombre histoire, qui me glace le sang. Elle évoque Béla, son entraîneur, ses parents, les services secrets roumains. Elle est devenue une simple marionnette manipulée par un dictateur, mais ça, elle refuse de l’admettre.
L’avion atterrit. Nadia marche devant moi : elle ne semble plus dans son élément. Pourtant, je comprends que jamais elle ne s’envolera de nouveau. «  Les passagers du vol de départ Bucarest et à destination de New York sont priés de récupérer leurs bagages dans l’aile C » Je suis donc à New York. Je la cherche désespérément dans la foule mais au fond de moi, je sais que je ne la reverrai plus. Elle et sa magie ont définitivement disparu.
J’ouvre mes paupières pour la seconde fois ce matin. Reprenant mes esprits, je repère la couverture cramoisie du livre posé sur ma table de nuit : « La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon ». Je l’ai fini tard hier soir. Je me rends alors compte que ce livre est construit comme un rêve. Les scènes magiques ou tragiques, les correspondances fictives mais teintées de réalité, les époques discontinues mais liées, les personnages, à la fois aimés et cruels, ce moral d’acier dans ce corps de fer, cette ambition qui a réussi à surmonter la misère mais qui conduit à la ruine, tout se mélange et s’enchaîne, dans une histoire complexe, à l’image de la vie de cette petite communiste. Au fil des pages, elle nous laisse un témoignage poignant qui m’a profondément touché. L’auteur a su avec justesse intégrer son point de vue dans le récit, se créant un véritable personnage auquel je me suis rattachée, et retranscrire les péripéties d’une fillette hors du commun dans un pays au contexte politique difficile et méconnu. Elle m’a entraîné dans son roman et m’a convaincue de l’accompagner à la découverte de ce personnage réel qu’est Nadia Comaneci. Les images de sa prestation féérique ont d’ailleurs été envoyées dans l’espace, dans l’espoir qu’une autre forme de vie découvre un jour ce que la Terre fait de plus beau. Pour moi, avec ce livre, Lola Lafon nous montre qu’à défaut de rester éternellement une merveille du monde, Nadia Comaneci côtoie à jamais les étoiles.

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