dimanche 1 septembre 2013

Ce qu'il advint du sauvage blanc, François Garde

Le Prix de la critique organisé par la médiathèque a été décerné à Vincent Bonniard (1èreL au lycée Richelieu) pour ce dialogue entre deux sans-abri à propos de Ce qu'il advient du sauvage blanc de FranÇois Garde.

Ce qu'il advint du sauvage blanc
François Garde
Gallimard, 2012
Cote : R GAR





Deux sans-abri se rencontrent au coin d’une rue.
- Hé dis donc toi ! Comment est-ce-que tu vas ? Toujours à camper près du boulevard ?
- Ouaip. Je traîne. Jme traîne. Comme d’hab quoi. Y commence à faire froid stemps ci.
- Tu m’étonnes c’est l’hiver mon gars !
- Bon allez, jte laisse, on va pas rester plantés là trois plombes.
- Ah parce que t’es occupé maintenant ?
- Et pourquoi pas ? Oui je suis occupé figures-toi.
- Raconte.
- Je lis.
- Tu lis ? Mouarf, t'es sérieux là ?
- Et pourquoi je srais pas sérieux, hé guignol.
- Ouh du calme. J’aurais pas cru s’tout. Tu lis quoi dis ?
- Ça.
- Ce qu’il advint du sauvage blanc ? Squoi ce titre bizarre. Un sauvage c’est noir non ?
- Mouais. Ça m'a interpellé moi aussi.
- Et ça parle de quoi ton bouquin ?
- Bah ouvre et regarde.
- T’es marrant toi, ce livre c’est un pavé, jvais pas m’amuser à tout lire.
- Tu devrais pourtant.
- Pourquoi ?
- Y a de belles choses.
- T’en as de drôles toi avec tes histoires. Allez tu m’intéresses, raconte-moi tout, jveux savoir.
- Tout quoi ?
- Bah tout ce qui est si beau dans ce roman !
- Bah… Déjà c’est bien écrit.
- Comment ça ?
- Bah mate toi-même, y a plein de mots différents, c’est riche, et puis ça change de s’qu'on entend d’habitude.
- Montre. Ah ouais c’est du vieux jargon quoi.
- On dit « soutenu ».
- Ok ok. Bon. Quoi d’autre ?
- Y a l’histoire aussi qui vaut la peine.
- Ça parle de quoi ?
- C’est en plein 19éme. Y a un matelot, Narcisse, que son navire oublie sur une plage australienne.
- Les chiens ! Surtout l’Australie à cette époque c’est pas simple non ?
- Ouais tu peux le dire. 45° à l’ombre. Pas d’eau. Pas de nourriture. Jle croyais perdu au début le gars. Mais il survit.
- Sérieux ? Mais comment ?
- Grâce aux sauvages.
- Aux sauvages ? Les sauvages à cette époque ça bouffe les blancs non ? A moins que ton coco soit noir ptet.
- Non non il est blanc. Mais faut croire qu’il est tombé sur des sympas. Ou que les anthropophages c'est des foutaises. En tout cas il est pas mort. Il s’est habitué aux coutumes.
- Comme ça, d’un coup ?
- Bah non. Il a fallu du temps. Mais il a fini par comprendre.
- Comprendre quoi ?
- Qu’il avait pas le choix. Il a dit adieu à lui-même. Il s’est laissé mourir complètement, pour mieux renaitre ensuite.
- T’en as de ces mots. Et il renait en quoi ? En homme nu bondissant et hurlant des chansons bizarres ?
- Tout juste. Mais il bondit pas. Il chante pas. Il est juste nu. Il vit simplement. Aide la tribu. Pars à la chasse. Vagabonde comme tous les autres. De campement en campement. De plage en plage. De forêt en forêt. De montagne en montagne. Il apprend une nouvelle langue. Se forge de nouveaux souvenirs. Un nouveau nom. Une nouvelle vie.
- Hé bé. Ça a l’air de t’avoir vraiment marqué ce bouquin.
- Plutôt oui. Ça fait voyager. Et puis y a un beau message.
- Ah parsque en plus y a des messages là-dedans. Y a tout dans ce truc. Et c’est quoi ce « message » ?
- Bah… Ça commence comme ça : un beau jour, dix-sept ans après son arrivé, Narcisse se fait capturer.
- Capturer ? Mais je croyais qu’ils étaient sympas tes sauvages !
- C’est pas eux. C’est des blancs. Il l’attire sur leur bateau. Le ramène de force vers leur monde. Leur société… civilisée. Mais Narcisse s’adapte pas.
- Comment ça ?
- Il a presque tout oublié de son passé. Y a un type, Vallombrun, qui veut lui faire retrouver la mémoire. Pour la science. Pour mieux connaître les sauvages d’Australie.
- Et ça marche ?
- Non. Narcisse dit rien. Il obéit juste. Fait ce qu'on lui dit. Tout le monde le trouve bizarre. Il aide n’importe qui sans raison. Toujours serviable. Gentil.
- Il demande rien en retour ?
- Du tout. Pour lui l’argent c’est rien. Il comprend pas les valeurs de tous ces gens.
- Bon, et le message dans tout ça.
- Le message j'viens d’en parler mon gars. Narcisse il finit par partir. Il s’enfuit. Il en peut plus de cette société étrange. Enfin c’est l’impression qu’il m'a donné.
- J'cerne toujours pas.
- Comment faut te le dire ? T'as vu les sauvages ? J't’en ai parlé non ? Ils vivent ensemble. Mangent ensemble. Dorment ensemble. C’est une communauté. Unie. Alors bien sûr c’est pas l’anarchie, il y a une hiérarchie. Les hommes ont quelques privilèges, ils peuvent d’ailleurs faire un peu ce qu’ils veulent des autres femmes. C’est primitif tu m'diras. On le pensera. Nous autres. Civilisés. Pourtant on fait pas mieux. Regarde. Regarde aujourd’hui. Regarde-nous. On dort dans la rue. On crève de froid. De faim. Et on dit que c’est normal. Parfois même qu'on l’a mérité. Alors dis-moi. C’est qui les vrais sauvages hein ? Narcisse et sa tribu d’hommes nus ? Qui vivent simplement, une vie un peu abrupte d’accord, difficile, mais collective ? Ou nous, l’homme moderne, égoïste ?  Moi je vais te dire. L’homme évolué est taré. Il connait pas la marche arrière. Le monde c’est devenu un jeu. Avec des règles fixées par nous-mêmes. Si tu perds la partie, tant pis. C’est fini pour toi. Y a bien deux trois participants qui te tendent la main, mais ça t’amène jamais très loin. C’est dégueu. C’est inhumain. C’est accepté. C’est comme ça. Bah y a pas photo. Entre mon boulevard de béton crasseux et la tribu de Narcisse, j'préfère l’Australie. J'préfère une vie simple et juste. J'préfère aller vivre avec de vrais êtres humains que continuer de croiser tous ces sauvages dans les rues.
- …J'crois que j’ai saisi. Mais tu peux rien y faire mon gars. Tu l'as dit toi-même. C’est comme ça.
- Tu croyais que j’allais me mettre à faire quoi de toute façon ? Me mettre à gueuler comme un illuminé que le monde doit changer ? J'pense pas que ça soit très efficace. Y a rien à faire c’est tout. J'compte pas faire quelque chose non. J'vais juste remettre ce livre a sa place.
- Pourquoi ? J'croyais que tu l’aimais ton bouquin ?
- Mais ça y est. Je l’ai lu. Plus besoin de le garder maintenant. J'm'en souviendrai. Difficile de l’oublier. Ça marque. Tu m’accompagnes ?
- Où ?
- Dans le parc. Sous un peuplier. C’est là que je l’ai trouvé.

Réponse de Francois Garde à Vincent

Cher Vincent
Je prends connaissance de ta critique de mon Sauvage blanc, qui a remporté le prix de la critique des lycéens de Rueil, et à mon tour je veux te féliciter.
Le style parlé est le plus difficile, et pourtant tes dialogues sont naturels et bien conduits. Ce qui ressort de l'échange montre une vraie compréhension de mon roman, et j'en suis très touché.
Et tu n'as pas oublié de travailler ta "chute", que j'ai trouvée très efficace.
Alors, bravo ! Et vive la littérature !
Bien à toi,
F. GARDE

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