mardi 3 juillet 2018

Prix des Lycées de Rueil

Le prix de la critique 2018

Comme chaque année, dans le cadre du Prix des Lycées de Rueil, les élèves volontaires rédigent un texte d’expression libre sur un des romans de la sélection. Un jury composé de bibliothécaires, professeurs et documentalistes vote pour les trois meilleures productions. 

Le premier prix a été attribué à Louis Chanut, élève de seconde du lycée Passy-Buzenval, pour son texte inspiré du roman Metamorphosis : Houdini, magicien & détective de Viviane Perret (Éditions du Masque, 2016) :


La défaite du criminelle

"Metamorphosis est, je trouve, un bon livre. Mais certains de ses personnages sont décevants. Celui qui en est, à mes yeux, le parfait exemple est Yee Toy, personnage présent tout le long du récit comme un boo how doy/ assassin hors pair. Mais sa fin m’a beaucoup déçu. J'imaginais en effet, dès la présentation du personnage un affrontement ou une course poursuite épique entre lui et le personnage éponyme. Mais cela n'a pas été le cas ; en effet, quoi de plus décevant que de se faire surprendre et qu’une balle vienne se loger dans son épaule. Espérant une fin plus glorieuse, j’en rédige donc une à ma façon. Le passage ici narré, se passe juste après que Yee Toy a mis fin aux jours du jeune étudiant chinois.

Yee Toy était fou de rage, il avait échoué. Non seulement il s’était trompé de cible mais il avait été, de plus, blessé par son adversaire. Celui-ci avait été bien plus véloce et habile que prévu. Ce crime était raté en tout point : il n'avait pas respecté la procédure habituelle, il avait fait un bruit
monstrueux et, par-dessus tout, il se retrouvait avec une cuisse tailladée. Lui le boo how doy qui n’avait jamais essuyé le moindre échec. En repensant à ses erreurs, sa rage ne faisait que grandir, il se questionna alors sur ce qui était la source de ses problèmes. Il pensa d’abord à Little Pete, car celui-ci n’allait pas tarder à le pourchasser, mais il était trop bien protégé. Il songea alors à Houdini. Oui, c’était bien lui le problème ; ses recherches avaient rendu le patron barge. Qui avait donc refusé d’accepter la requête du criminel ? et qui l’avait frustré, l'incitant ainsi à agir imprudemment ? Si Yee Toy ajoutait la tête du magicien à son tableau de chasse, il serait sûrement pardonné de son erreur. Le malfaiteur trouvait sa logique, parfaite. Il décida alors d’aller se soigner et se reposer quelques heures dans une planque voisine afin d’agir judicieusement à l’aurore venue.


*

Malgré sa journée tumultueuse et son spectacle pour la mission d’hier au soir, Houdini décida de partir dès l’aurore. La belle ville de San Francisco commençait à lui plaire. Le prestidigitateur s'étonna lui-même, il ressentait comme de la tristesse à l’idée de quitter cette ville. Ce matin, les couleurs orangées du soleil illuminaient les bâtiments de la ville. De plus, un vent frais aux effluves d’eau de mer zigzaguait dans les rues. Perdu dans ses pensées, Houdini fut surpris à la vue de Yee Toy, celui qu'il pensait être une fille déguisée en homme et qu’il avait aperçu dans la salle de jeu. Sa surprise fut encore plus grande quand il comprit qu’il était suivi. Pour s’en assurer, il fit un tour de pâté de maison pour revenir au même endroit. Le chinois le suivait toujours.

 *
Le boo how doy avait bien compris que le magicien l’avait remarqué, il fallait donc agir vite. L’assassin esquissa un sourire quand il vit Houdini tourner dans la petite ruelle. Celui-ci allait sûrement en profiter pour s’échapper et prendre de vitesse le petit asiatique mais cet imbécile ne savait pas que c'était un cul de sac ! Yee Toy n’aurait pas pu attirer sa proie dans un meilleur lieu, pour ce qu’il avait prévu de faire. Il attrapa alors son couteau et s'élança dans la ruelle…
Il fut accueilli par un violent coup de matraque au niveau de sa blessure. Houdini avait sûrement récupéré cette matraque de la police pour se défendre. Comme il profitait de la surprise provoquée par ce coup, il tenta d’en asséner un second au niveau des côtes. Il fut évité de peu par l’agile assaillant qui, à son tour, prit l’offensive. Il fit de grands gestes avec son couteau pour forcer le magicien à s'écarter. Une fois que la distance fut plus importante il réfléchit : comment blesser son adversaire tout en gardant un œil sur lui ? Il effectua alors le raisonnement qu’il utilisait quand un assassinat tournait mal, ce qui était rarement le cas, à vrai dire. Il avait l’avantage de l’expérience au combat ; son arme, bien plus mortelle que celle de son adversaire et il possédait une agilité hors normes. En revanche, sa petite taille l’empêchait d’atteindre son ennemi sans s'exposer à un coup adverse. Yee Toy décida donc de s'approcher brusquement de son adversaire avec son couteau brandi devant lui pour l’intimider.

 *

Houdini redoutait depuis longtemps ce moment. Celui où les tongs tenteraient de l’abattre. Pour l’instant, il s’en sortait plutôt bien, mais son manque d’expérience ne tarderait pas à lui faire défaut. Il se demanda alors comment prendre l’avantage sur son adversaire en profitant de son atout naturel : sa taille. Mais toute sa réflexion n'avait en vérité pour unique but que d'éloigner ce qui effrayait le plus le magicien : l’issue du combat. En effet, dans tous les cas il serait perdant. Soit il mourrait, soit il tuerait, la deuxième option ne lui accordait guère plus d‘enthousiasme. Son adversaire lui avait bien fait comprendre une chose, le combat ne cesserait que par la mort d’un d’entre eux. Et cela, Houdini ne pouvait pas l’imaginer. Ce serait contraire à tous ses principes. La seule possibilité qui lui laissait une lueur d'espoir était l'arrivée de la police, telle un deus ex machina digne des plus grandes machineries théâtrales. C’est alors que son adversaire s'élança vers lui, agitant son couteau. Houdini évita chaque coup avec une certaine allégresse sans oser riposter pour autant. Il se concentra sur les mouvements ennemis et comprit vite que ceux-ci suivaient une certaine logique. Il lui fut donc facile de prévoir le coup suivant, qu’il intercepta in extremis en attrapant le poignet du criminel qu’il tordit de toute sa force, pour le forcer à lâcher son arme. Le chinois fit l’erreur de suivre du regard son couteau durant la chute, ce qu’il paya d’un violent coup dans la mâchoire. Yei Toy recula. Intermède qu’Houdini accepta volontiers mais celui-ci fut de bien courte durée puisque le meurtrier prit à nouveau l’initiative. Il effectua alors une acrobatie à la hauteur de son agilité, pour finir par heurter avec son pied le visage surpris d’Houdini. L’énergie délivrée fit pivoter le prestidigitateur et son adversaire en profita pour lui infliger une clef de bras parfaitement réalisée. Houdini considéra alors cette inconfortable position comme un nouveau défi à relever. Comme l’avait été la camisole portée dans sa cellule. Mais cette fois-ci il y avait un facteur humain, son geste devait être rapide et surprenant car sa posture ne lui permettait pas d’utiliser sa force à son avantage.

 Pendant que Yee Toy reprenait son souffle, Houdini s’imagina à la place de son agresseur et réfléchit à un geste qui le forcerait à lâcher prise. Il tourna finalement son poignet simultanément avec un mouvement brusque du bras qui fit perdre prise au boo how doy. Houdini se jeta sans attendre sur l’arme blanche et l’agresseur fit de même ; malheureusement pour lui, Houdini, plus grand, prit l’arme en premier et usa de la proximité qu’il avait avec son adversaire pour tenter un ultime coup.

 *
Ce n’était vraiment pas son jour pensait l’assassin. Il regarda une dernière fois le visage d’Houdini et fut honteux de s'être fait avoir par un simple touriste qui se mêlait décidemment de ce qui ne le regardait pas. Le Tong ne regrettait rien pour autant. Il savait qu’il serait bien un jour non plus le bourreau mais la victime. Il est vrai qu’il aurait préféré mourir d’une main plus... dangereuse. Mais bon, il fallait bien mourir de quelque chose. Finalement, en y réfléchissant, il était même plutôt fier de lui, il s’était fait tout seul, s’était forgé une belle réputation et avait suivi ses principes jusqu'au bout. Il essaya en vain de stopper l’hémorragie avec ses mains tremblantes mais rien à faire Touché à la jugulaire, ses forces le quittaient et il se sentait peu à peu sombrer dans la nuit éternelle. Il tomba au sol et utilisa ses dernières forces pour disposer cependant ses membres avec une certaine harmonie."
___________________________________________________________
Le second prix a été attribué à Chloé Carasso, élève de première du lycée Richelieu, pour son texte inspiré du roman Le Groupe de Jean-Philippe Blondel (Actes Sud junior, 2017) :

"Le son de la télévision en arrière-plan résonnait dans ma tête comme un bourdonnement. Une musique d’un nouveau boysband à la mode sortait des haut-parleurs et ma fille chantait à tue-tête des paroles que je ne comprenais pas, la tête plongée dans mon roman. La tasse de thé à côté de moi ne dégageait presque plus cette odeur de citron qui m’apaisait et je savais que quand je porterai la tasse à mes lèvres, le liquide verdâtre serait bien trop froid pour que je puisse l’apprécier. J’avais ouvert la fenêtre à ma droite afin de laisser un peu d’air rentrer dans le four qu’était devenu mon salon. C’était un mercredi après-midi de Juillet tout ce qu’il y avait de plus banal. Il était 14h32, heure à laquelle où Laetitia se levait de sa place sur le canapé pour aller chercher ses affaires avant de partir à son cours de dance de 15h. J’entendis ses bruits de pas s’éloigner dans le couloir et je pouvais presque prévoir la phrase qui allait sortir de sa bouche d’ici quelques secondes.

« Tu sais où est mon leggings ?, s’écria Laetitia
-Au fond du tiroir en bas de ta commode, répondis-je sans prendre la peine de me lever de ma chaise. »

Ma fille me remercia avant de claquer la porte d’entrée en partant. Je regardais l’heure à nouveau. J’avais le temps de faire un saut au cabinet avant d’aller Tom à l’école. Depuis que mon patron avait pris sa retraite, j’étais la responsable du cabinet Caplan. Cela nécessitait beaucoup plus de travail que ce que je pensais, et avec les affaires que je devais défendre, j’étais vite dépassée. Je jetais avec dépit le reste de mon thé avant de me préparer à partir. C’était encore une habitude que j’avais gardé du lycée : je n’étais pas capable de finir un thé ou une autre boisson chaude avant qu’elle soit froide. Je laissais toujours mon gobelet à moitié plein sur le rebord de la fenêtre de la cafeteria où on se rejoignait avec Nina avant l’atelier d’écriture. A cette époque, j’étais toujours enjouée à l’idée d’écrire et je dois avouer que ne plus avoir le temps de me consacrer à l’écriture m’attristait. Je me souvenais encore de tous les sentiments qui me traversaient lorsque j’étais à cette table et que je laissais mes pensées guider ma main sur le papier. J’étais tellement plongée dans mes sentiments et ma nostalgie que je n’avais pas remarqué être montée dans l’ascenseur vers mon bureau. J’étais restée debout devant la porte, la tête dans les nuages.

« Eh ? Tu m’écoutes ? »

Je sursautais et levais la tête pour croiser le regard de Lana, mon associée. Elle me regardait légèrement inquiète et je lui offris un sourire qui la rassura immédiatement.

« Désolé, je rêvassais. Tu disais ?, lui demandais-je en réajustant l’anse de mon sac sur mon épaule.
-Ca fait plusieurs heures qu’on essaye de te joindre, dit-elle d’un ton légèrement accusateur, Il y a un client qui est arrivé ce matin et il ne veut parler qu’à toi. Je lui ai expliqué que tu n’étais pas disposée à prendre de nouveaux dossiers mais j’aurais pu autant parler à un mur. Il dit te connaître. »

Elle haussa les épaules à cette réflexion et je voyais bien à son visage que ce client l’irritait particulièrement. Sa remarque m’étonnait, je ne voyais vraiment pas qui cela pouvait être.

« Je vais m’en occuper alors, répondis-je en jetant un coup d’œil à ma montre, J’ai encore un peu de temps avant d’aller chercher Tom, il a laissé un numéro où on peut le joindre ?
-Enfaite…, hésita Lana, il n’est pas parti. Il insistait tellement qu’on l’a laissé attendre dans ton bureau. Je savais pas où lui dire de rester. »

Je soupirai et lui dis rapidement que je m’en chargeais. Je n’avais pas le temps de gérer un énième cas de divorce compliqué aujourd’hui et j’espérais que cela n’allait pas me mettre en retard. Je poussais la porte de mon bureau et me regard se posa immédiatement sur l’homme assis sur la chaise face à mon fauteuil. Sa silhouette me paraissait familière mais je n’arrivais pas à placer un nom sur son visage. Il se retourna vers moi lorsque je fermais la porte et me souris. Je le reconnus presque immédiatement. C’était Boris. Il avait énormément changé depuis le lycée mais son sourire  restait le même. Je le saluais avec enthousiasme et nous commençâmes à échanger des banalités. Rapidement, un silence s’installa.

« Je suppose que tu n’es pas là juste pour me dire bonjour. Qu’est-ce qui t’amènes ici ? »

Son expression changea en à peine une seconde. il me raconta comment il avait divorcé il y a quelques années avec sa femme et comment cette dernière voulait depuis quelques mois obtenir la garde exclusive de leur fille sous prétexte que son travail l’accaparait trop.

« Je ne savais vraiment pas quoi faire. Et un soir, un ami m’a parlé de cette avocate qui l’avait aidé dans une affaire similaire. J’étais vraiment surpris de savoir qu’il s’agissait de toi ! J’ai donc sauté sur l’occasion pour te demander de m’aider moi aussi. »

Je l’écoutais attentivement et lui répondais que je serai ravie d’aider une vieille connaissance. Il parut soulagé et je pris quelques minutes pour discuter avec lui de rendez-vous à mettre au point et d’autres détails administratifs. Lorsqu’il partit, j’étais seule avec mes pensées. Les sentiments qui m’avaient accaparé tout à l’heure refaisaient surface et je ne pouvais m’empêcher de repenser au lycée et à toutes les expériences que j’y avais vécues. Cette rencontre avait fait remonter cette question que tout le monde s’est déjà posé : que sont-ils tous devenus ?"
                 ___________________________________________________________


Le troisième prix a été attribué à Neil Boutaleb, élève du lycée Passy-Buzenval, pour son texte inspiré du roman Rage d’Orianne Charpentier (Gallimard jeunesse, 2017) :

"Elle était dans son étroite cage, collée à la paroi glaciale d’un des objets qui la séparait de la liberté avec son collier, sa chaine et la peur qui lui retournait l’estomac.

Elle n’était pas très grande, mais son corps lourd, musculeux et sa large gueule en faisait une chienne de combat efficace. Ses deux yeux jaunes renvoyaient cependant une lueur qui indiquait sa peur et son désarroi face à n’importe quel être vivant. Son corps maigre était couvert de plaies, son pelage sombre était tacheté de sang et ses babines étaient complètement déchirées à cause de ses nombreuses batailles forcées.

Son dernier tortionnaire en date entra dans la pièce et se mit à hurler sur l’animal, qui était habitué à ces scènes après les matchs perdus. Mais cette fois-ci, la rage de l’homme était plus forte que d’habitude ; il ouvrit la cage de la chienne et saisit une longue tige de métal. L’air menaçant, il faisait mine de frapper la bête à plusieurs reprises, lorsqu’il finit par la toucher à la hanche, l’animal pris de panique, sauta sur son agresseur, le renversa et courut à l’aveugle vers la sortie du bâtiment. Zigzagant entre les passants elle entendit les cris de son tortionnaire, ce qui la fit encore accélérer.

Elle arriva finalement à la sortie et se rua vers la première rue à sa portée, son souffle haletant résonnant dans la ruelle, elle entendit le son d’une moto, hésita d’abord mais s’arrêta à la vue d’une jeune fille.

Celle-ci avait entre ses deux mains un long bâton de bois surmonté d’un morceau de métal. La chienne se cacha derrière un muret, peu rassurée d’abord à la vue du bâton qui lui rappelait l’arme qui avait été pointée sur elle, un peu plus tôt.

Les griffes de la bête raclaient le sol lorsque la chaine grinça, ce qui fit grogner l’animal. S’approchant, les crocs de la chienne luisaient dans la pénombre, la fillette leva le bâton bien au-dessus de sa tête alors que le cri du propriétaire de la chienne retentit au loin et les arrêta toutes deux. La chienne sentit le regard apeuré glisser sur elle, puis vit tomber le bout de bois et entendit chuchoter de tendres mots à son encontre ; la chienne hésita, repensa à toute la colère qu’elle avait envers les hommes mais après avoir entendu la voix sucrée et l’étrange langue qui sortait de la bouche de cette fille, la bête gémit et approcha lentement en remuant la queue.

Elle posa sa truffe contre la main de la fille, lui lécha les doigts puis enfin déposa sa lourde tête sur ses jambes et se sentit rassurée et extrêmement soulagée."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire