mardi 20 janvier 2015

Interview : Malika Noisette, humanitaire en Afrique de l'Est


Zoom : Quel est votre métier ?
Malika : Je travaille avec la Croix Rouge (Fédération Internationale de la Croix Rouge et du Croissant Rouge). Je suis coordinatrice régionale pour la gestion des risques de catastrophes dans les pays d'Afrique de l'Est.

Zoom : Quel parcours vous a amené à travailler dans l'humanitaire ?
M. : J'ai d'abord fait une prépa BCPST (Biologie, Chimie, Physique et Sciences de la Terre). Puis j'ai fait un Master en Nutrition et Santé humaine à l'Institut national agronomique Paris-Grignon. J’ai ensuite commencé une thèse dans une unité de recherche mixte (INSERM-ISTNA) que j’ai arrêté au bout de deux ans pour faire de l’humanitaire. J’ai commencé par une première mission avec Action Contre la Faim en Ouganda en 2005… jusqu’à maintenant !

Zoom : Qu'est-ce qui vous apporte le plus de satisfaction dans votre métier ?
M. :
Dans le travail d’urgence, c'est rendre de la dignité et de l'humanité à des personnes qui ont tout perdu, alléger leur souffrance et sauver des vies. En ce qui concerne mon travail de fond (développement), c'est participer à améliorer les conditions de vie des communautés sur le long terme, les rendre plus autonomes.

Zoom : Qu'est-ce qui, au contraire, vous pose le plus de problèmes ?
M. :
Je dirais que ce sont les contraintes dues au manque de moyens et de financements, ainsi que la politique qui empêche souvent les choses d’avancer dans le bon sens.

Zoom : Est-ce que c'est facile de s'intégrer aux populations locales ?
M. :
Non, c’est compliqué car ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils vivent, ainsi que leur culture sont très éloignés de nos repères et de ce que nous avons nous-même vécu. Mais c’est extrêmement enrichissant.

Zoom : Comment communiquez-vous avec les locaux ? Est-ce qu'il y a parfois des problèmes de communication liés à la langue ou à la différence de culture ?
M. :
On communique avec les équipes locales dans leur langue officielle (anglais ou français dans mon cas), et avec les communautés par l'intermédiaire des équipes locales qui assurent la traduction entre la langue africaine et le français ou l’anglais. Quand on reste longtemps dans un pays et qu’on travaille beaucoup avec les communautés, on finit par apprendre un peu leur langage et communiquer  parfois directement avec eux. La différence de culture est à prendre en compte dans tous les aspects du travail car elle peut être source d’incompréhension. Il faut une grande ouverture d’esprit et de la patience. Dans les programmes d’éducation à la santé / nutrition par exemple on peut devenir complètement inutiles si on essaye de faire passer des messages qui sont inadaptés à la culture. Il faut travailler avec les équipes sur place pour comprendre quels messages peuvent passer et comment.

Zoom : En tant que femme, avez-vous déjà été en difficulté lors de certaines missions ?
M. :
Oui. J’ai eu des difficultés avec des soldats ou des responsables du gouvernement par exemple qui essayent de vous manipuler ou vous faire peur car ils pensent que vous êtes plus faible qu’un homme.

Zoom : Quelles sont, selon vous, les qualités professionnelles et personnelles requises pour travailler dans l'humanitaire ?
M. :
Être ouvert d’esprit, respectueux de tout être humain, de la souffrance et de la différence de culture. Être dévoué à la cause et ne pas chercher à être un héros aux yeux des autres. Être travailleur et capable de fonctionner en équipe et sous pression.

Zoom : Quelle est la plus grande urgence humanitaire aujourd'hui en Afrique selon vous ?
M. :
La plus grande urgence aujourd'hui c'est Ebola. Le SIDA est un problème à long terme, pas une urgence. Il y a aussi des crises d’urgence graves, comme les conflits du Sud Soudan, dans lesquels les gens souffrent du manque d’eau potable ou de malnutrition. La conséquence de cela est l'augmentation du nombre de réfugiés en Éthiopie, un pays qui souffre des mêmes carences.






Zoom : Vous travaillez notamment sur les catastrophes naturelles et leur gestion dans les pays d'Afrique de l'Est. A quels types de catastrophes naturelles sont exposées ces pays ?
M. :
Ces pays font surtout face à des inondations, des glissements de terrain, des sécheresses, des orages, des épidémies humaines (Ebola, choléra etc) et des épidémies animales.

Zoom : Quelles sont les solutions pour les anticiper au mieux et les gérer une fois arrivées ?
M. :
C’est un très vaste sujet… En quelques mots et pour simplifier, il faut suivre les informations météo et les informations produites par les systèmes d’alerte précoce pour être au courant en avance de ce qui risque d’arriver. Pour être capable d’agir à temps, il faut se mettre d’accord avec les gouvernements, avant la catastrophe, sur les types d’actions que nous devons mettre en place en amont afin d’être prêt à réagir suffisamment tôt et réduire les risques. Il faut aussi se mettre d’accord sur les éléments à déclencher pour activer la mise en place de ces actions. Enfin, pour avoir des financements qui per-mettent la mise en place de ces actions, il faut que les bailleurs de fonds soient impliqués dans ces discussions.
Il faut aussi faire un travail similaire avec les communautés, les mettre en lien avec les réseaux d’information des systèmes d’alerte précoce pour qu’elles aient l’information à temps et pour qu’elles puissent aussi se préparer aux catastrophes et réduire les pertes de vie et de biens. Ceci est le scénario idéal. En réalité c’est très compliqué...

Zoom : Êtes-vous confrontée à Ebola dans les pays où vous travaillez ? En Afrique de l'est, l'apparition du virus est-elle anticipée ?
M. :
Ebola a déjà souvent frappé l’Ouganda, ça n’est donc pas quelque chose de nouveau pour nous, bien que la grande majorité des pays de l’Afrique de l’Est n’a jamais fait face à une épidémie Ebola et n’est pas du tout préparée. A l’heure actuelle, il n’y a pas de cas d’Ebola en Afrique de l’Est. Tous les gouvernements sont en train d’élaborer des plans à mettre en place au cas où un cas d’Ebola serait déclaré dans leur pays. Nous travaillons donc avec les Croix Rouge de l’Afrique de l’Est pour les préparer à être capable de réagir si un cas d’Ebola apparaissait dans leur pays. Nous organisons des formations, des exercices de simulations, etc.

Zoom : La légitimité de certaines missions humanitaires est parfois remise en question. Quelles sont, selon vous, les limites de l'humanitaire ?
M. :
Il est difficile de définir des limites claires car les contextes dans lesquels nous intervenons sont des contextes complexes. Beaucoup de questions se posent régulièrement et trouver les réponses n’est pas toujours évident. L’humanitaire peut être utilisé à des fins politiques, afin de faire perdurer des conflits, de créer des famines qui ne sont pas dues à des catastrophes naturelles. L’humanitaire peut aussi créer, au sein même des populations, un “syndrome de dépendance” qui ne les encourage pas à trouver leurs propres solutions pour sortir de la pauvreté extrême. Ceci est un cercle vicieux dont il est souvent compliqué de sortir. Il y a des limites à ne pas franchir afin d'éviter d’avoir un impact négatif sur les communautés que l’on essaye d’aider.

Zoom : Dans votre expérience, quel moment vous a le plus marqué ?
M. :
Les jour ou j’ai porté et transporté des bébés ou enfants morts vers les villages où ils devaient être enterrés. Je n’oublierai jamais ces enfants, parents et grand-parents.

Zoom : Merci Malika.

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