dimanche 1 décembre 2013

ZOOM sur... Unchained voices

© Janice Marie Foote
Jazz women, chanteuses, pianistes, harpistes… Nous voyons aujourd’hui ces légendes de la musique comme autant d’icônes de l’émancipation féminine. Pourtant, leur réalité fut tout autre. Dans une société américaine meurtrie par la question raciale, ces femmes menèrent un combat acharné pour faire reconnaître leur légitimité artistique, malgré leur couleur de peau.






1935. Une femme noire monte sur la scène. Une douce lumière éclaire son visage. Dans la salle, les derniers murmures s’évanouissent pour laisser place à un silence liturgique. Peu à peu, chacun pose son regard sur cette diva à la voix angélique. Une mélodie délicate et un texte profond, sublime envahissent la salle de concert. Billie Holiday nous transporte dans un univers riche en émotions : celui des passions, de la sensualité, mais aussi de la haine et de l’injustice. 1935. Une femme noire irradie sur la scène. Reine de la nuit, elle redevient le jour l’esclave de l’époque qui l’a vu naître.

La société américaine est déchirée par la question raciale depuis tant d’années. La guerre n’a pas beaucoup amélioré la condition des populations afro-américaines, stigmatisées et rejetées par une nation qui ne promet du rêve qu’aux élites blanches. La violence sociale gangrène l’Amérique. Pour toutes ces femmes noires, il n’est pas question de se soumettre à des lois qui bafouent leurs droits et leur dignité. Billie Holiday voit sa famille brisée par le lynchage de l’un de ses proches. Nina Simone s’engage alors corps et âme dans la lutte contre le racisme, soutenant et diffusant le message de paix et d’amour de Martin Luther King à travers sa musique. Ella Fitzgerald se bat toute sa vie pour montrer que sa couleur de peau et les violents traumatismes de son enfance ne l’empêcheront pas de devenir l’incroyable « First Lady of Song », que nous connaissons.



La réalité est sombre mais elle s’impose comme une source d’inspiration inépuisable pour ces grandes artistes. En se penchant sur les textes de leurs chansons, on découvre que l’apparente quiétude n’est qu’un fard dissimulant une détresse bien réelle. Une grande fragilité se dégage du répertoire des Jazz Women. On retrouve l’amour, l’infidélité, la déception, la fuite du temps comme autant de thèmes récurrents, orchestrés par une musique douce et légère, une force vocale puissante mais délicate. Des titres comme « I’m a  fool to want you » de Billie Holiday, ou « Taking a chance of love » d’Ella Fitzgerald exaltent le sentiment amoureux. La difficulté que connaissent ces divas pour faire entendre leur voix agit comme un catalyseur puissant à l’expression de leurs émotions les plus intimes.


Malgré tout, certaines d’entre elles s’éloignent du genre initial, qu’il s’agisse de la construction en couplets et refrains ou des sujets traités. C’est le cas d’Alice Coltrane, inspirée par le travail de son mari, le saxophoniste John Coltrane, que l’on retrouve sur une grande partie de l’album Journey in Satchidananda (1970). Un jazz instrumental et expérimental, qui découle d’un processus de création profondément mature. La structure, en apparence décousue, révèle une richesse mélodique, harmonique et rythmique exceptionnelle. Alice Coltrane fut l’une des instrumentalistes qui poussa au plus loin la recherche de sonorités nouvelles, loin des standards mis en place par les divas du jazz. Elle rend un hommage touchant au brillant saxophoniste avec « Something about John Coltrane ».

Le jazz féminin n’est pas uniquement vocal. Il est aussi instrumental. L’évolution se fait de plus en plus nette à partir des années 1970. Grâce à la signature du Civil Rights Act (1964), accordant de véritables droits civiques aux populations noires, le jazz féminin s’émancipe et s’écarte des sujets de prédilection des pionnières du genre. On découvre un jazz décomplexé et décontracté, symbolisé par le sourire qu’arbore Bobbi Humphrey sur la pochette de son album Blacks and Blues (1973).
Les temps changent. La société se fait plus tolérante et accepte la différence véhiculée par ces artistes féminines engagées. Pourtant, même aujourd’hui, certaines icônes de notre époque sont encore soumises à des violences inacceptables. Le cas de la diva caribéenne, Rihanna est symptomatique. Harcelée par les paparazzis et battue par son compagnon, elle revendique ses privations de liberté à travers ses chansons. Même si le style n’est plus le même (du jazz au rythm and blues) la star semble avoir hérité du fardeau de ses aînées et pose la question d’une réelle évolution de la société et de la place donnée à ces femmes qui se battent pour imposer leur talent et leur vision du monde aux yeux de tous.

Antoine Derycke (étudiant en 1ère année à Audencia Nantes)


A écouter :

- Billie Holiday – Lady In Satin (1958) - Cote : 1 HOL 
- Nina Simone – Pastel Blues (1965) - Cote :
- Bobbi Humphrey – Blacks and Blues (1973) 
- Alice Coltrane - Journey In Satchidananda (1970) - Cote : 1 COL

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