« Debout ! »
La lumière aveuglante du jour accompagnée du caractéristique
crissement funeste des rideaux me tire brusquement de mon sommeil.
Alors que je me lève, les dernières images de mon rêve
s’estompent : au bout de quelques instants, je n’en ai plus
aucun souvenir. Pourtant j’ai vraiment l’impression d’avoir
fait un rêve étrange… Plus j’y réfléchis, plus des bribes de
souvenir me reviennent à l’esprit…
Je
me souviens d’une créature qui virevolte dans les airs, avec une
grâce inouïe. Cette créature, c’est une petite fille avec des
rubans, je la vois, narguant Newton, elle semble me faire un clin
d’œil lorsqu’elle s’élance une dernière fois de sa barre.
Les juges sont éblouis, moi aussi. Cette fillette m’inspire et
m’émerveille. Elle me donne envie de la suivre, d’apprendre à
la connaitre, elle qui a su me captiver.
Le
décor change. L’époque aussi, je crois. On s’y perd un peu.
J’entends une voix qui résonne et qui m’explique ce qui se passe
devant moi. Les silhouettes floues commencent à se préciser. Face à
ce spectacle, j’ai un pincement au cœur, de les voir si jeunes, si
fragiles, si frêles, tomber sans cesse, sous les reproches de leur
entraîneur. Même si elles ont l’air heureuses, la joie du début
semble s’être envolée, la magie a définitivement disparu. Vus de
plus près, les corps décharnés, bien que musclés, me mettent mal
à l’aise. Pourtant, je me sens incapable de partir, fascinée, je
me rapproche. Elle est là, « telle un pinceau sur une toile »,
elle me fait rêver. Oui, je suis émue. De joie ou de tristesse,
sûrement un peu des deux.
Je
marche dans une rue. Je me concentre, c’est une ville toute grise,
sombre et triste. Je ne comprends pas vraiment où je suis, ni à
quelle époque : les rêves ne sont pas réputés pour leur
chronologie parfaite… Quelque chose m’impressionne : c’est
cette voix qui reprend. Je me vois approcher d’une vitrine :
je la reconnais ! Sur l’affiche, c’est la fillette aux
rubans ! Je suis comme frappée d’horreur. La voix me fait
comprendre que cet ange, cette « Nadia », porte malgré
elle sur ses frêles épaules le rôle d’ambassadrice de la
réussite du Communisme. Protégée de la Patrie du Camarade, elle
est devenue une idole mondiale, une muse de carte postale. Derrière
moi, deux femmes parlent : ce que j’entends me bouleverse. Les
étalages vides du marché, les visites de contrôle des naissances
mensuelles, les scènes de carnage dans les cuisines, tout cela
m’effraie. Je prends conscience de la misère qui m’entoure et de
la chance que j’ai de ne pas avoir connu cela. Je n’ose garder
plus longtemps la carte postale, je la repose soigneusement. J’ai
envie de partir mais quelque chose me retient.
Encore
un autre décor. Je suis au chevet de Nadia. Allongée sur son lit,
les cotes saillantes, les articulations meurtries, le regard sombre,
elle me fait peur. Elle se lève brusquement et commence à faire des
pompes, des larmes coulent sur ses joues. Je me sens étrangère à
ce supplice, seule la voix semble partager ma position. On dirait
qu’elle tente elle aussi de saisir un instant la complexité de ce
personnage. Je comprends, littéralement, le revers de la médaille.
Elle sacrifie son corps pour le succès de la Roumanie. Elle a mon
âge.
J’appuie
mes mains sur mes yeux. Plusieurs années se sont écoulées. Je
concentre mes efforts pour tenter de rattraper les dernières images
de mon rêve. Je suis assise, sur un siège, bleu, un siège d’avion.
Je regarde par le hublot, un océan s’étend à perte de vue. Ma
voisine se retourne, c’est Nadia Comaneci. Mais ce n’est plus
celle que je connaissais. Bien qu’elle soit encore assez jeune,
elle a les traits tirés d’une personne exténuée, elle a pris du
poids. Plonger les yeux dans son regard suffit pour
s’apercevoir qu’elle est détruite. Je me sens impuissante et
désolée devant cette fille à la vie ravagée. La magie n’est
plus, je n’ai plus envie de la suivre. Peut-être faut-il
quelquefois ne pas voir les coulisses pour pouvoir apprécier le
spectacle… Mais tout-à-coup, elle commence à me parler. Non, ce
n’est pas à moi qu’elle s’adresse mais à la voix. Elle
l’appelle... Lola ! Oui, Lola, c’est ça. Je me souviens,
Nadia lui raconte la fin de sa sombre histoire, qui me glace le sang.
Elle évoque Béla, son entraîneur, ses parents, les services
secrets roumains. Elle est devenue une simple marionnette manipulée
par un dictateur, mais ça, elle refuse de l’admettre.
L’avion atterrit. Nadia marche devant moi : elle ne semble plus dans son élément. Pourtant, je comprends que jamais elle ne s’envolera de nouveau. « Les passagers du vol de départ Bucarest et à destination de New York sont priés de récupérer leurs bagages dans l’aile C » Je suis donc à New York. Je la cherche désespérément dans la foule mais au fond de moi, je sais que je ne la reverrai plus. Elle et sa magie ont définitivement disparu.
L’avion atterrit. Nadia marche devant moi : elle ne semble plus dans son élément. Pourtant, je comprends que jamais elle ne s’envolera de nouveau. « Les passagers du vol de départ Bucarest et à destination de New York sont priés de récupérer leurs bagages dans l’aile C » Je suis donc à New York. Je la cherche désespérément dans la foule mais au fond de moi, je sais que je ne la reverrai plus. Elle et sa magie ont définitivement disparu.
J’ouvre
mes paupières pour la seconde fois ce matin. Reprenant mes esprits,
je repère la couverture cramoisie du livre posé sur ma table de
nuit : « La petite communiste qui ne souriait jamais, Lola
Lafon ». Je l’ai fini tard hier soir. Je me rends alors
compte que ce livre est construit comme un rêve. Les scènes
magiques ou tragiques, les correspondances fictives mais teintées de
réalité, les époques discontinues mais liées, les personnages, à
la fois aimés et cruels, ce moral d’acier dans ce corps de fer,
cette ambition qui a réussi à surmonter la misère mais qui conduit
à la ruine, tout se mélange et s’enchaîne, dans une histoire
complexe, à l’image de la vie de cette petite communiste. Au fil
des pages, elle nous laisse un témoignage poignant qui m’a
profondément touché. L’auteur a su avec justesse intégrer son
point de vue dans le récit, se créant un véritable personnage
auquel je me suis rattachée, et retranscrire les péripéties d’une
fillette hors du commun dans un pays au contexte politique difficile
et méconnu. Elle m’a entraîné dans son roman et m’a convaincue
de l’accompagner à la découverte de ce personnage réel qu’est
Nadia Comaneci. Les images de sa prestation féérique ont d’ailleurs
été envoyées dans l’espace, dans l’espoir qu’une autre forme
de vie découvre un jour ce que la Terre fait de plus beau. Pour moi,
avec ce livre, Lola Lafon nous montre qu’à défaut de rester
éternellement une merveille du monde, Nadia Comaneci côtoie à
jamais les étoiles.
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